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Préface

Très grands formats et cadrages serrés : les singes crèvent l'écran de la toile, qui ne les contient pas plus que notre mémoire. Leur présence forte et incongrue nous arrête et nous convie à un face à face sans dérobade.

 

Les cadrages cinématographiques et les arrêts sur images tracent pour le spectateur un parcours de lisières, au risque de l'inconfort : à la frontière entre le familier et l'étranger, entre le portrait et le miroir, entre l'impossibilité de détourner le regard et notre liberté de spectateur.

 

La taille des toiles et les très gros plans sur les visages des singes constituent une sorte de confrontation, qui se révèle pourtant sans violence, et parfois même d'une douceur inattendue. Ou bien c'est le singe qui détourne le regard et nous offre un profil qui nous permet de souffler un peu – nous cessons d'être regardés.

 

Il y a quelque chose d'irritant dans cette série de portraits, comme si la peinture était du côté de la liberté, de la profondeur et du mouvement, alors que nous, la regardant, serions irrémédiablement enfermés, pris au piège de la surface et de l'artifice.

Enfermés dans nos mouvements limités d'humains alors que les singes dansent sur la toile, et ce jusque dans leurs portraits immobiles.

Limités dans notre compréhension par l'anthropomorphisme de notre interprétation, alors que leur silence est sans limite.

Ligotés par nos propres mots qui tracent des frontières sur le monde, trient, séparent, expliquent et finalement peinent à dire la complexité que la peinture convoque.

 

Au-delà de cette irritation, de ce caillou dans notre chaussure, le travail de Philippe Hervier nous restitue aussi une liberté simple et délicieuse, celle de notre présence entière à ses toiles : comme au cinéma, nous pouvons devant elles nous extraire de notre réalité du moment et plonger, sans réfléchir plus avant, dans les yeux de ces primates, nos lointains ancêtres et pourtant si proches cousins, qu'il nous est difficile de tenir à distance.

 

Véronique Belot, août 2013

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